Alice KUDLAK
Metteuse en scène

Alice a reçu une aide à la création pour son spectacle Les Enfants-pierre.

Quel est votre parcours artistique ?
J'ai toujours eu envie de créer. En triant mes affaires d'enfant cette année j'ai trouvé une quantité d'histoires à laquelle je ne m'attendais pas, souvent des carnets dont les premières pages était remplies de commencements très dramatiques, d'une écriture maladroite au bic coloré. J'ai eu la chance de voir beaucoup de spectacles, et aussi loin que je me souvienne, je m'imaginais monter sur scène rejoindre les troupes. Je dessinais et rêvais de faire de la bd, aussi je me suis fixée comme objectif d'entrer à l’École Européenne Supérieure de l'Image, à Angoulême quand j'étais au collège. Le truc, c'est qu'entre temps j'avais commencé le théâtre au lycée, où j'avais d'excellents professeurs, d'excellents intervenants de la région et de la troupe qui était alors résidente au CDN de Besançon. Quelque part entre le travail sur les masques, Hamlet et Novarina, j'ai compris que je désirais plus que tout faire du théâtre, ce qui me terrifiait pas mal, vu que jusque là ma pratique était autodidacte et solitaire. Après un an aux Beaux Arts d'Angoulême (il fallait quand même vérifier), je me suis lancée. Ma première création, Forêt/Cache/Arbre, une pièce radiophonique, a commencé en 2016 sous forme d'une installation interactive, et puis de série diffusée par la RTBF en 2018. C'est un projet au très long cours, on reprend la forme spectacle en 2026, et la saison 2 devrait sortir dans la même période ! Retrouver l'équipe après dix ans était absolument fou.
J'ai eu la chance d'intégrer la promotion X du Théâtre National de Bretagne, et le l'enseignement d'artistes tels que Arthur Nauzyciel, Gisèle Vienne, Phia Menard, Pascal Rambert, Steven Cohen, ou encore Laurent Poitreneaux ont beaucoup ouvert ma vision de la création. À la sortie, le Théâtre de Caen m'a passé commande d'un livret pour leur maîtrise et celle de San Francisco Girls Chorus, que Thierry Pécou a mis en musique, et que mon père, Bernard Kudlak, et moi avons co-mis en scène, avec des artistes de cirques et soixante enfants sur scène. C'était très bouleversant de s'associer entre générations pour défendre un sujet sacré à mon sens, celui de l'avenir de la vie sur terre. Le spectacle les Enfants-pierre, achevé d'écrire à la Chartreuses - centre national des écritures du spectacle, a vu une première étape se réaliser à la Maison Casarès en 2024, grâce au soutien notamment du Théâtre National de Bretagne et de la ville de Rennes, et reprendra au Bercail et la la Nef en 2026.
En parallèle de mes créations, je continue de jouer, ce qui m'est tout aussi essentiel, cette année pour Anaëlle Queuille, Ariane Issartel et Jing Wang. Le jeu et la mise en scène sont les deux faces d'une même pièce pour moi, l'un m'apprend à faire l'autre et vice versa. 

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Le théâtre est pour moi un espace absolument nécessaire pour être au monde, autant pour traverser ses violences et ses peines que pour le rendre plus vaste et plein de possibilités. J'y trouve un contact avec les choses qui le composent supportable, même exaltant, et m'y sens plus que nulle part ailleurs à ma place. Au théâtre, rien ne peut être trop effrayant ou trop merveilleux qu'on ne puisse le regarder dans les yeux. Les spectacles ont sur moi l'effet d'une cérémonie de délivrance, que j'en sois spectatrice, autrice ou actrice. Le but, donc, est de rendre accessible cette délivrance à qui veut la vivre. 

Le nom de ma compagnie, Quelque Refuge, capture l'essence de ce projet : un refuge est un endroit où l’on se met à l’abri un temps seulement, pour y reprendre des forces, et dont on sort avec plus d'armes et de courage pour affronter la réalité quand le temps est venu. Pour produire cet effet, il faut être généreux et astucieux. Ça ressemble à quelque chose comme ça : créer une caisse de résonnance pour que chaque personne de l'équipe y dépose une part de lui même à sa juste place, et que toutes ces parts chantent ensemble. Quand je dis chacun, je veux dire que ce soit la mise en scène, les acteurs, les créateurs technique … Il faut inventer un dispositif pour que ça fonctionne. C’est délicat. Chaque chose donnée au spectacle par chacun doit être donnée de tout coeur, et il faut donner juste assez, pour que chacun soit augmenté par ce don et non diminué, et laisser de la place pour que le public aussi puisse s'y loger. 
C'est merveilleux d'avoir le droit de prendre tout ça très au sérieux. J'y pense souvent dans les moments les plus ridicules du processus. Ça me rend heureuse. 
La solidarité entre acteurs, entre membres d'une équipe pour faire chanter une pièce, c'est une des plus belles choses du monde à mes yeux, que je sois au plateau ou quand c'est mon projet qui est porté. Ça fait croire que le monde est possible. 

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
La sortie d'école a été comme un train fou qui ne s'est pas arrêté pendant quatre ans. Les propositions ont été singulières, multiples, toujours surprenantes. Je choisis de croire que les choses vont continuer dans ce sens et que je pourrai continuer à créer des objets dans les médiums qui m'attirent (après la radio, la marionnette, l’opéra, qui sait ? Un jeu vidéo ? Un film ? De la pantomime ? Un tournoi de catch ?). Chaque histoire que j'écris s'écrit entièrement dans la discipline dans laquelle je la realise, en s'appuyant sur ses spécificités. Je veux aussi continuer à soutenir les projets des autres et y mettre une part de moi donnée de tout coeur. 
L'avenir semble un peu incertain ces temps-ci pour l'art et les tentatives de collectif. Donc plus que jamais, je veux rêver pleinement et trouver comment rendre le rêve réel. J'entends beaucoup d'injonction à produire vite, à produire consommable, à produire beaucoup et diffuser peu. Je veux désobéir. Pas non plus attendre des deus ex machina de production pour créer, mais emprunter des sentiers nouveaux quand il faut, être patiente quand il faut, et trouver les temps et les lieux pour que les choses données résonnent à leur juste place.

Interview réalisée en 2025
Photographies réalisées en 2025 par Isabelle Chapuis