Anne SHITRIT SIMIN
Photographe

Anne a reçu une bourse dans le cadre du programme "Artistes émergents d'ici et d'ailleurs" initié en partenariat avec l'association Thanks for Nothing.

Quel est votre parcours artistique ?
Mon parcours artistique puise ses racines dans un savoir subtil, transmis silencieusement au sein du foyer familial. Avant leur engagement religieux, mes parents évoluaient tous deux dans l'univers artistique — mon père dans la peinture, ma mère dans la photographie. Ce lien originel avec l'art façonne en profondeur mon rapport au monde, ma manière de l'habiter et de questionner ma place en son sein. C'est à l'âge de 19 ans que s'est imposée à moi la nécessité d'une formation artistique académique. Après une licence à Jérusalem, j'ai poursuivi mon parcours aux Beaux-Arts de Paris, où j'ai obtenu mon Master avec mention. Mon aspiration demeure celle d'un approfondissement constant au cœur du discours artistique contemporain, explorant des thématiques qui m'habitent à l'échelle universelle. Cette circulation entre Jérusalem et Paris constitue pour moi l'espace privilégié d'une double dynamique : un regard tourné vers l'intériorité qui trouve son expression dans le geste créateur, particulièrement à travers la photographie.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Issue d'une communauté très fermée, l'idée même de m'épanouir en tant que femme et artiste — au-delà des frontières du monde ultra-orthodoxe et au sein de la sphère académique — relevait autrefois de l'impensable. L'obtention de mon Master avec mention aux Beaux-Arts de Paris a constitué une révélation : tout horizon que je me fixe peut devenir réalité. Cette prise de conscience nourrit ma détermination à poursuivre mes rêves, à porter des projets qui résonnent profondément en moi, et à mesurer la portée sociale de mon œuvre.J'ai compris que cette origine si complexe et distante — si éloignée du discours artistique dominant — me confère une position singulière. Elle me permet d'offrir un regard autre, de tisser des passerelles par ma vision et ma pratique. Qu'il s'agisse de la Cisjordanie, du Maroc ou des confins de la frontière iranienne, une même aspiration guide mes pas : connecter des territoires reculés ou oubliés à une compréhension plus vaste, plus universelle, à l'image de mon propre cheminement d'un monde clos et méconnu vers un dialogue ouvert et complexe. À travers cette démarche, j'aspire à inspirer d'autres trajectoires, à encourager les rêves, l'épanouissement et l'ouverture à des échanges plus subtils. Dans les années à venir, je souhaite approfondir cet engagement — par le biais de conférences, de l'enseignement ou du mentorat — et mon projet immédiat consiste à entreprendre un doctorat en France.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
D'ici cinq ans, j'aspire à être pleinement engagée dans mon parcours doctoral tout en développant un projet d'envergure qui m'habite encore — sans doute autour de la mer et de l'héritage maritime de mon père, des traversées entre continents, des identités forgées par l'errance, et de cette tension inhérente entre appartenance et déracinement.
Dans dix ans, je m'imagine dans mon propre atelier, transmettant la force et les ressources que j'ai acquises par l'enseignement, le mentorat ou un engagement social amplifié à travers l'art.
Je sais qu'il existe tant de jeunes filles qui, à dix, onze, douze ans, ont nourri des rêves qui leur semblaient inaccessibles. Issue de la précarité, d'un univers social et religieux où mon identité fut souvent marginalisée, femme dans ce contexte, j'ai dû franchir d'innombrables obstacles. L'une de mes aspirations les plus profondes est de restituer cette force et d'offrir à d'autres ce qui m'a tant fait défaut autrefois.
Parallèlement, je demeure profondément ancrée dans le monde académique et désire poursuivre mon cheminement et mon épanouissement en son sein.
Dès l'enfance, je pressentais que l'art serait mon laboratoire d'exploration du monde et je sais que cette quête ne cessera jamais.
Si je reste ouverte à de multiples médiums au-delà de la photographie, celle-ci demeurera probablement toujours mon port d'attache.

Interview réalisée en 2025
Photographies réalisées en 2025 par Isabelle Chapuis