Éric MINH CUONG CASTAING
Chorégraphe, Artiste visuel
Éric a reçu une aide à la production pour son spectacle Forme(s) de vie.
Quel est votre parcours artistique ?
Je suis né en Seine-Saint-Denis, à Villepinte. J’y ai commencé la danse hip-hop, au Lycée. M’intéressant aux écritures en temps réel, je me suis ouvert aux danses contemporaines, notamment au Butô japonais. En parallèle, je dessinais, déjà, beaucoup, partout ; je suis entré aux Gobelins, l’école de l’image à Paris, puis j’ai travaillé pendant plusieurs années comme graphiste dans le cinéma d’animation. Pour approfondir une approche du mouvement à la fois par la danse et l’image, j’ai fondé en 2008 ma propre compagnie, Shonen (« adolescent », en japonais). La compagnie porte la création chorégraphique par une pluralité de médiums, réalisent des spectacles et des performances mais aussi des films et des installations. Je présente ces derniers à la fois dans le champ de la danse et des arts visuels, mettant en relation la danse et les nouvelles technologies (robots humanoïdes, drones, réalité augmentée…) dans le cadre de processus de création «in socius», qui prennent forme au sein de réalités sociétales en partenariat avec des institutions (laboratoires de recherches, Centres de soins palliatifs, ONG...) en dehors du monde de l’art. Aujourd’hui artiste associé au Ballet National de Marseille (2016-2019) et à la Comédie de Valence (2020-2024), je tâche de confronter mon travail chorégraphique au monde tel qu’il va : aux enjeux technologiques parce qu’ils ouvrent un imaginaire d’anticipation très riche, alors qu’au présent ils déplacent nos perceptions et nos modes de relation sans que l’on s’en rende compte ; à une diversité de corps (danseurs professionnels et amateurs) parce que cette diversité vient déplacer la « danse » (que je perçois comme un art de la relation) sur la forme et sur le fond.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Il y a une prise de conscience de plus en plus vive et large que les métiers du monde de l’art ne sont pas exclus du système, qu’ils y contribuent et qu’il faut y résister. Le néo-libéralisme joue à plein dans ce secteur, privé ou institutionnel. Il y a beaucoup de superficialité dans la façon de nommer les artistes, mais aussi les œuvres. On est dans l’ère des éléments de langage, parfois en total décalage avec la réalité des œuvres : c’est le marketing de l’art qui, pour convaincre sur le marché, doit s’incarner dans la figure de l’Artiste avec un grand « A » ou ceux ou celles capable d’imposer une « identité » lisible et attractive à grand renfort d’instagram, etc. L’art est un espace de pouvoir où les catégories, le mimétisme et le conservatisme sont prégnants : on va s’accorder pour dire que le fait qu’un artiste se permette de scotcher une banane au mur pour la vendre XX dollars sur le marché de l’art est révélateur de l’aliénation du système, mais qui ose dénoncer que tant d’artistes de premier plan se contentent de recycler les mêmes gestes depuis des décennies ? Cette critique peut être constructive : il faut reporter nos regards sur les œuvres, sur leurs enjeux et leur contenu, sur les processus artistiques, sur les contextes de production. Cela permettrait d’éviter de se laisser mystifier par des effets de discours.
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Je projette avant tout des actes, mais tout de suite des lieux, nécessaires pour que la création expérimentale puisse se réaliser. J’espère travailler dans des espace-temps où la question de la danse serait celle plus largement du corps en mouvement, où l’hybridité des pratiques artistiques ne serait plus un objectif à atteindre mais un acquis, où le travail ne serait plus essentialisé au regard de l’origine, de l’histoire première ou du parcours d’un artiste, où l’enjeu – éthique – de la représentation des corps fragiles, cachés, discriminés serait une évidence, vécu comme une source d’énergie nécessaire au renouvellement des formes scéniques, visuelles et relationnelles. Je me vois dans un lieu qui parle de la complexité des êtres et qui assume comme une force constructrice, sociale et politique, que la question que pose la danse est celle de la relation entre des corps vivants. Et, si ce lieu n’existe pas, j’espère avec d’autres pouvoir le créer.
Interview réalisée en 2020
Photographie : Kamila K.Stanley