Jean MASSE
Metteur en scène
Jean a reçu une aide à la création pour son spectacle Paysage de pluie.
Quel est votre parcours artistique ?
Après une formation littéraire en classes préparatoires à Toulouse, j’ai intégré l’École Normale Supérieure de la Rue d’Ulm à Paris en 2013 (avec l’option théâtre) puis, en 2017, l’école du Théâtre National de Strasbourg dirigée par Stanislas Nordey, en section mise en scène. J’ai abordé le théâtre sous un angle théorique au cours de mes études tout en le pratiquant en tant qu’acteur dans les conservatoires d’arrondissements de Paris. Lorsque j’ai découvert que la mise en scène, et particulièrement la direction d’acteur·ices, me permettait d’exprimer quelque chose d’à la fois sensible et intelligible, ça a été une révélation. Au fil des expériences, c’est devenu l’objet de ma recherche et un principe constant de travail : dépasser le dualisme corps-esprit, relier pensées et sensations, explorer une forme de vie plus intense et plus attentive au monde qui l’entoure. Les hispanophones emploient à ce sujet le mot sentipensar - le « sentir-penser », qui donne une idée du chemin à suivre. J’ai développé alors le goût d’un théâtre poétique qui s’appuie sur les textes pour déployer une sensorialité particulière. Ma curiosité me mène partout là où je reconnais un langage qui propose une expérience renouvelée du monde. C’était l’objet notamment de mon spectacle Terre promise en 2020, adaptation des Aveugles de Maurice Maeterlinck et du Marin de Fernando Pessoa. Et aujourd’hui ma collaboration avec l’auteur Nicolas Girard-Michelotti, qui a donné lieu en mars 2024 à la création de Paysage de pluie, est une façon d’explorer d’autres façons de créer ensemble pour imaginer ensuite des récits alternatifs sur les catastrophes (environnementales, économiques, sociales, politiques) en cours.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Après quelques expériences de création, et conscient de ma condition « d’artiste émergent », je me rends compte à quel point le métier de metteur en scène engage des responsabilités qui ne se limitent pas à la sphère artistique. C’est un travail de gestion, d’administration, d’accompagnement au long cours. En tant que telle, je trouve que la profession est soumise à beaucoup de pression : temps de travail limité, droit à l’erreur réduit, injonction de « faire spectacle » tout en maintenant la vitalité d’une recherche artistique, concurrence du milieu, réduction des subventions publiques, fragilités liées aux conditions d’émergence… Je perçois par conséquent une certaine atomisation du milieu qui menace la dimension collective de nos métiers.
Mais c’est aussi dans la possibilité de composer des équipes que je trouve la force de maintenir un désir de création et de résister artistiquement. La toute jeune compagnie Lichka que j’ai fondée avec l’auteur Nicolas Girard-Michelotti envisage de nouvelles façons de collaborer entre artistes. Je fais aussi partie d’un collectif international d’acteur·ices et de metteur·euses en scène qui s’appelle « Body Politic » et avec qui je développe des actions culturelles diverses et variées, ainsi qu’un processus de création sur le long terme. Je travaille aussi en ce moment avec – et pour – le compositeur et percussionniste Gaspar José, à l’écriture d’un seul en scène de théâtre inspiré de la figure du guitariste folk Nick Drake. Cette création est l’occasion d’un dialogue très riche entre la pratique musicale de Gaspar et ma pratique théâtrale. Être metteur en scène devient pour moi, de plus en plus, une fonction permettant d’orchestrer des rencontres et des dialogues artistiques, pour construire et cultiver de la relation.
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Impossible à dire ! Je n’ai pas l’habitude de faire des pronostics sur ma propre vie, alors pour mon travail… J’avance au gré des rencontres : ce qui m’intéresse, c’est de continuer à développer ces formes de coopérations artistiques qui m’empêcheront de vouloir faire cavalier seul, et qui me pousseront à partager ma pratique avec d’autres. C’est essentiel pour moi de me confronter à de l’altérité dans le processus de création, pour pouvoir inventer à partir de là de nouvelles perspectives.
Interview réalisée en 2024
Photographies réalisées en 2024 par Lys Arango