Juliette BIALEK
Comédienne

Juliette a reçu une bourse afin de l'aider à suivre ses études au Théâtre National de Strasbourg.

Quel est votre parcours artistique ?
J’ai un parcours qui se traduit par le mariage entre l’éloignement et la proximité avec l’art. J’ai grandi avec des parents qui en étaient tout à fait éloignés mais entourée par une fratrie qui s’adonnait à la musique notamment. J’ai ainsi pratiqué durant 8 ans de l’accordéon et mon désir de scène a été éveillé assez tôt, notamment par le rêve de la danse classique. Les pratiques d’éveil et de découverte en musique et en danse n’ont pas pu être maintenues ou ont donné lieu à des déceptions. Au lycée, par le rapport que j’ai entretenu avec ma découverte de la lecture j’ai senti une communication forte entre les écrits et ma personne. Sensation qui est devenue déclic lors des premières expériences théâtrales que j’ai eues comme spectatrice, quand mon lycée nous emmenait voir des pièces à la Filature de Mulhouse. Et j’ai réveillé un désir que j’avais enfant mais que je n’avais jamais pu expérimenter ailleurs que dans mon esprit ou à l’école : celui de devenir comédienne. S’en est suivi un désir profond qui m’a fait chercher du travail à l’étranger durant 6 étés consécutifs dans l’optique de pouvoir suivre des cours de théâtre. Au bout de 3 ans et parallèlement à ma troisième année de licence en lettres modernes j’avais l’autonomie financière pour entrer en classe initiale à la Scène sur Saône à Lyon. Mais j’ai rapidement senti que ma quête théâtrale était ailleurs que dans cette formation, j’ai cherché ailleurs, ai appris l’existence d’écoles nationales supérieures, ai cherché comment pouvoir m’y préparer, et ai intégré la classe préparatoire égalité des chances à la Filature de Mulhouse en 2018. En parallèle à cette formation j’ai également suivi les master-classes proposées par le programme Ier Acte. Ces formations, rencontres, découvertes m’ont donné des armes pour m’autoriser une légitimé à présenter les concours aux écoles nationales supérieures de théâtre, et j’ai intégré en 2020 l’Ecole du TNS.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Je porte un regard coloré sur la profession aujourd’hui, teinté de naïveté, d’espoirs, des désillusions et de bataille. Je ne pourrais pas porter un regard fermé, car il serait réducteur, mais je sens, en avançant dans mon parcours et en rencontrant des pédagogues et autres jeunes artistes, qu’il y a des frontières fines mais essentielles entre la profession, l’art et la carrière. La profession de comédienne m’apparait alors aujourd’hui comme un champ de bataille et de partage, comme l’endroit où le fait d’être ensemble prend le plus de sens et où il apparait parfois comme étant naïf, compte tenu de la réalité d’un “marché”. A partir du moment où je rattache l’art à la profession, j’y vois forcément une ombre avec laquelle il faut savoir danser, mais d’une danse particulière : entre lutte et séduction. Concernant les raisons me faisant faire quelques pas dans cette danse, elles sont d’ordres artistiques, humaines et de quête. Car il y a toujours l’espoir de transmettre et de partager au-delà de soi. A chacun d'avoir conscience des pas qu’il s’autorise et des pas qu’il bannit pour avoir une place dans la profession aujourd'hui, laissant suffisamment d’espace à la création et aux quêtes, en les protégeant.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Difficile de répondre à cette question. Il y a 5 ans, dans un autre contexte et n’ayant du théâtre que le rêve j’aurais répondu autrement. La brutalité du réel nous confronte, même jeunes, à des endroits de maturité quasi prématurée. Le fantasme de carrière ou de la sécurité financière, de l’épanouissement artistique ou juste de la joie personnelle dans ce qui rythme un quotidien s’éloignent pour laisser place à une espèce de brouillard un peu vertigineux. Je suis dans l’optique de vouloir faire quelque chose de ce brouillard et de faire de ma comédienne une passeuse, une artiste qui dans 5, 10 ou 20 ans restera toujours dans une quête qui peut être naïve mais qui sera toujours particulièrement encrée dans le réel. Je rêve que je participerai, aux côtés de nombreux jeunes artistes à une révolution par une ouverture sur le monde, que nous participeront activement à la reconstruction d’une dérive, et que la dérive continuera à nous donner la nourriture pour ne jamais désespérer. Je me vois en vie. Et en quête. Faisant grandir la femme que je suis pour ma comédienne et faisant grandir ma comédienne pour la femme que je suis, ai été, serai.  

Interview réalisée en 2021
Photographie : Julia Grandperret