Mohamed EL KHATIB
Metteur en scène

Quel est votre parcours artistique ?

J'ai fait des études de lettres (Hypokhâgne et Khâgne) avant d'être diplômé de Science Po, puis d'un DEA de Géographie et d'une thèse en sociologie sur la critique dans la presse nationale. J'ai fréquenté le Centre d'Art Dramatique de Mexico où j'ai vécu avant de travailler pour les Ceméa (mouvement d'éducation populaire). J'ai ensuite été conseiller Théâtre et Danse en Région Basse-Normandie. Depuis 4 ans je me suis lancé en autodidacte dans l'écriture et la mise en scène à caractère documentaire.
De même que je n’ai jamais pu dissocier mon écriture du plateau, je n’ai jamais pu éviter d’apporter le réel sur scène et dans mon travail. Dans ma pratique théâtrale, le document est un atout, un outil, l’essence même de l'écriture et de ses représentations. C’est le cas par exemple avec « Moi, Corinne Dadat », pièce où je fais participer réellement une femme de ménage rencontrée par hasard.
Enfin, depuis 2012 je suis artiste en résidence à L'L – lieu de recherche pour la jeune création contemporaine à Bruxelles.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?

J'ai le sentiment d'appartenir à une génération sacrifiée, des enfants de la crise qui n'ont que la crise comme horizon, confrontés à l'incapacité en France de penser la création contemporaine en dehors du marché de l'art. Il y a trop peu d'espaces de prises de risque, d'espaces de recherche déconnectés des logiques de production. Côté théâtre, la tendance globale est celle, pour paraphraser Éric Chevillard, d'un théâtre pavillonnaire de vérification, où le spectateur vient vérifier que tout est conforme à ses attentes.Une fois dressé ce tableau clinique alarmant, je dois pourtant bien avouer qu'appartenir à la « classe créative » de ce pays occasionne un certain luxe dans mon quotidien.

Quand considérerez-vous avoir émergé ?

J'ai clairement conscience de bénéficier de la bulle spéculative jeune-auteur-metteur en scène pluridisciplinaire émergent. Sans doute devrais-je m'y accrocher un peu comme ces « jeunes » adultes qui vivent de plus en plus tardivement chez leurs parents.Selon les critères dominants de la réussite, on pourrait considérer qu'être artiste associé à des structures nationales de création depuis peu (C.D.N d'Orléans, Scène nationale de Douai, L'L – Bruxelles) contribue à « me faire émerger ». Mais plus fondamentalement, que je puisse mobiliser des partenaires pour réaliser une création sans avoir d'idée précise, est une forme d'émergence. Je ne sais pas si c'est vraiment rassurant... mais cette confiance-là est précieuse.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?

Comme je viens d'acheter une caméra, j'aimerais bien faire du cinéma. Dans 5 ans, il n'y aura vraisemblablement plus d'intermittents, on reviendra alors à des modes de production de nature plus artisanale, ce qui me convient plutôt pour réaliser des films.
Dans 10 ans, il est probable que, lassé par la recherche de financements pour faire des projets, je fasse valoir mes droits à la retraite artistique anticipée et que j'envisage sérieusement une reconversion dans un champ d'activité non lucratif. À moins qu'en 2020, j'envisage de me présenter aux élections municipales d'Orléans avec la volonté de faire enfin des pistes cyclables dans la ville, de retirer les caméras de video surveillance, d'annuler les festivités grégaires autour de Jeanne-d'Arc et d'obliger toutes les cantines municipales à servir des produits bio privilégiant les circuits courts.