Nicolas PETISOFF
Metteur en scène

Nicolas a reçu une aide à la création pour son spectacle Pédé.e - Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire.

Quel est votre parcours artistique ?
Je suis auteur, comédien, metteur en scène, DJ selector. Bref, je suis plein de trucs, mais je ne suis rien seul. Je suis né le 23 juin 1979 et j’ai grandi entre la campagne du Limousin et la galerie marchande d’un CORA de zone indus. Je découvre le théâtre pendant mes années collège, ma formation professionnelle démarre au Conservatoire de région du Limousin. Je poursuis mon apprentissage à l’Académie Théâtrale de l’Union à Limoges durant deux années de formation à l’art du comédien, cette institution est alors dirigée par Paul Chiributa et Silviu Purcarete. J’exerce depuis 1999 mon métier de comédien et d’assistant à la mise en scène au sein de plusieurs compagnies. Durant mon parcours professionnel, j’ai l’occasion de travailler avec Vincent Macaigne dans son court métrage Don Juan. J’ai la joie de participer à un working progress d'Alain Platel. Je joue sous les directions de David Gauchard, de Hala Ghosn et bien bien d’autres encore. J'ai co-fondé en 2006 le Collectif Relou Krew avec Anne-Sophie Tarnaud, nous y développons un travail performatif autours des auteurs contemporains. Depuis 2 saisons, je suis engagé comme dramaturge et regard extérieur sur des projets de danse contemporaine et comme metteur en scène invité sur les projets d’autres compagnies.
En 2019, avec la complicité de Denis Malard, je crée la 114 Cie. Je m’engage alors dans l’écriture d’un triptyque à mettre en scène : La trilogie des monstres. Parpaing, créé en novembre 2019 au CDN de Rouen, est le premier spectacle de cette aventure. Dans ce spectacle autobiographique, nous questionnons l’appréhension de notre héritage. Sommes-nous quand même quelqu’un aux yeux du monde quand on ne sait pas d’où on vient ?
Pédé.e - Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire en est le deuxième volet. Ce spectacle qui verra le jour en 2023 pose la question de l’amour dans sa beauté, dans sa violence et dans sa solitude, qui plus est quand cet amour est considéré comme hors normes aux regards de la société. Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ?
Putain!, rêvé pour 2025 - 2026, sera un projet sur la colère. On y parlera de notre impuissance face aux inégalités du monde et de nos contradictions. Comment arrive- t-on à se lever chaque matin pour simplement vivre sa vie ? Doit on mettre un mouchoir sur les inégalités visibles pour avoir le courage de démarrer sa journée?  Cette réflexion viendra clôturer cette aventure en trois axes. D’autres rêves sont en maturation : une étude sociologique suivie d’une création documentée sur la prostitution dans le milieu étudiant, et une adaptation d’un roman de David Wojnarowicz... entre autres rêves.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Je l’aime, je l’aimais hier et je compte bien l’aimer encore demain. J’aime son mouvement. J’aime être déplacer intérieurement. Je me savais comédien, je me découvre auteur, j’assume la place de metteur en scène et avec Denis Malard nous portons, à long terme, un projet de Compagnie. Cette profession s’apparente plus pour moi à un métier. C’est un apprentissage permanent. Tout est dans le faire, c’est de l’artisanat. Je nous considère comme des artisans dramatiques. Dans ma pratique et dans notre fonctionnement de création en compagnie, c’est une inlassable remise en question, un perpétuel déséquilibre qu’on tente de dompter. J’ai la sensation que le risque, le vertige et la maîtrise sont les ingrédients essentiels au plaisir et au partage. Le travail sur l’intime, les questions d’identité pour mieux présenter au monde un des visages de soi, les sujets brûlants qui se font les reflets de notre société sont aux cœur des recherches artistiques qui verront naître les projets à venir. Je fais le constat heureux, je crois, de voir notre métier se tourner avec de plus en plus de courage vers des formes et des propos en mouvement ancrés dans une réalité contemporaine. Je ressens un désir d’ouverture et d’invitation dans nos propositions de regarder le monde par un autre prisme que celui de l’individualité́. Notre compagnie n’est par exemple pas orpheline, elle s’inscrit dans une adelphité avec les compagnies de L’Unijambiste, La Poursuite, Bajour, la PAC et bien d’autres. On met en lien nos réseaux, on mélange nos équipes, on délègue nos productions, on coordonne, on mutualise et je n’imagine pas travailler autrement. Professionnellement, je n’ai pas toujours vu que le bon côté des choses. Sans naïveté, l’esprit critique que je pose sur le monde et qui enrichi notre travail est le même que celui qui nourrit mon observation sur la profession. J’en sais tous les excès (pouvoir, violences, inégalités, compétition...). Alors je reste en alerte, vigilant, et exigeant pour que notre geste artistique soit le plus honnête possible. Je grince un peu parfois des dents, mais avec la 114Cie nous avons décidé de travailler avec les autres et non pas contre les autres. Nous idéalisons les notions de partage et de collectif, nous travaillons la mâchoire desserrée.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
C’est une question sur l’avenir ? L’avenir est une hydre insaisissable. Je trouve que c’est déjà un exploit de se projeter à demain. Lorsque nous nous sommes lancés corps et âme en 2019 dans cette trilogie, nous avions un plan très précis des choses à faire, une chronologie impeccable : création, exploitation parisienne pour la presse, festivals dans la foulée, et hop! la tournée, puis création du prochain, etc... Sauf que la/le covid nous est tombé.e dessus. Comme tout le monde, on a dû suspendre les envies, on a éprouvé l’attente et personnellement, mon rapport au temps à changé. Je n’ai plus eu envie de courir. Je ne suis pas certains de vouloir courir après le temps. Mon urgence est devenue moins spectaculaire. Elle est plus intime. Alors j’ai des rêves d’avenir, mais le calendrier est un peu en option. Peut être que mes projets de 2026 se réaliseront en 2031. Alors je ne sais pas quand, mais par contre je sais ce que je veux. Artistiquement, je veux continuer à signer nos projets avec mes collaborateurs, je veux mener à bien la trilogie des monstres pour qu’on soit fier de nous comme l’est un enfant qui offre avec amour son premier cadeau de fête des mères. Je veux jouer sur des plateaux prestigieux pour que nos proches soient fiers de nous, je veux jouer dans la salle des fêtes de la petite commune où j’ai grandi dans le Limousin pour que nos proches soient encore plus fiers de nous. Je veux continuer à partager nos doutes et à poser des questions en espérant ne pas imposer les réponses. Je veux me battre pour ne pas me renfermer sur moi même, je veux continuer à rencontrer. Je veux agrandir notre famille de théâtre et par la même agrandir ma famille tout court. Et je veux vivre au bord de la mer.
Donc si tout va bien, dans 5 ans, je me vois heureux, sur les routes avec Denis Malard, mon alter égo, et tous les autres de la famille choisie pour jouer la suite de nos projets. Dans 5 ans, je me vois serein dans mon quotidien avec Raphou mon mari, Hedda et Lorette mes filleules. Je me vois en paix avec la famille adoptive et complices avec les familles biologiques rencontrées depuis peu. Dans 5 ans je me vois rire avec les potes, même avec ceux qui vivent un peu loin. La 114Cie aura 7 ans, on jouera La trilogie des monstres partout où on voudra de nous, là où la parole est libre, sur les planches.
Et dans 10ans... on verra bien.

 

Interview réalisée en 2022
Photographie : Julie Glassberg