Rebecca CHAILLON
Metteuse en scène
Rebecca a reçu une aide à la création pour son spectacle Carte Noire Nommée Désir.
Quel est votre parcours artistique ?
L’expérience qui ouvre ce parcours, c’est à Beauvais avec cette troupe d’amateur.ices, le Théâtre du Goupil à Beauvais de mes 12 à 19 ans, une troupe très Théâtre du Soleil et Peterbrookesque à la fois. Ça a été marquant et très formateur Après je suis sage, il y a eu le lycée option théâtre, douze heures par semaine, la fac d’art du spectacle à la Sorbonne Nouvelle,le conservatoire de théâtre du XXème et à mes 19 ans la rencontre avec Bernard Grosjean en Licence, qui me recrute dans sa compagnie de débat théâtral Entrées de Jeu. J’y travaille douze ans, je deviens ce mélange de théâtre et de travail social, qui me meut beaucoup puisque je suis aussi militante au CEMEA, un mouvement d’éducation populaire et nouvelle, où je travaille à accompagner les spectateur.ice.s des Festival d’Avignon depuis 2004. En 2006 avec des amies, je crée ma compagnie Dans Le Ventre, et j’y travaille depuis ce temps, des pièces où les identités féminines sont centrales. Un coming out artistique d’abord. Depuis ma rencontre avec Rodrigo Garcia, je mets en scène mes obsessions de la nourriture et du maquillage pour parler des corps, des désirs, des violences. J’écris, je mets en scène, je joue. La performance devient un langage dans lequel je me sens à l’aise et puissante, puisqu’il part de son intime pour interroger le politique. Et il y a à dire !
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Hum, ça dépend des jours. Il y a la version positive de ce regard. Quand je sens que je suis portée par un vent d’artistes et d’activistes qui obligent à re-questionner le monde du spectacle vivant, quand je sens que ça déstabilise un peu la machine bien huilée qui n’échappe pas aux maux de notre société (Le sexisme, le racisme, le capitalisme...) Quand on se demande enfin pourquoi ce sont toujours les mêmes qui racontent les histoires et les mêmes qui les écoutent. Ça, ça me fait vibrer. Et aussi la perspective que la performance devienne un arme pour s’émanciper et multiplier les récits, les regards. Voir des gens sortir de plus en plus de l’institution et avoir envie de créer des espaces de spectacles plus proche des gens. Ça, ça m’excite ! Ça va moins bien quand je réalise, que c’est long, que c’est beaucoup d’épuisement, qu’il est dur de lâcher ses privilèges, de faire de la place, d’inviter réellement des artistes sans vouloir se les approprier, prendre leurs récits. Qu’il y a beaucoup de violence dans nos métiers aussi.
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Je me vois à Montreuil-sous-bois, à ma direction alternée et collective du CDN de la même ville avec d’autres artistes très pluridisciplinaires. En parallèle, dans un grand lieu, avec ma femme et ses enfants, son ex, la femme de son ex, je vivrais un peu dans le Comminges, où je tiendrais la « butcherie » du village, un lieu mi-boucherie, mi-librairie. J’espère que j’aurai réussi à prendre du temps pour écrire des textes et les faire publier afin que ma famille me croit quand je dis que j’écris. Que j’aurai pu « faire école» plus souvent et parfois en Martinique aussi, là d’où mes parents viennent. Et pis que j’aurai appris parfaitement la contrebasse, l’allemand, le piano et le créole et l’art des métiers de bouches.
Interview réalisée en 2020
Photographie : Julia Grandperret