Ambre KAHAN
Metteuse en scène

Ambre a reçu une aide à la création pour son spectacle L'Art de la joie.

Quel est votre parcours artistique ?
Je suis née à Avignon. Ce premier caillou est important car j’ai eu une enfance de spectatrice. Mon père projectionniste d’un côté́ et de l’autre le festival chaque été. Il y avait de la passivité́ dans ma gourmandise. Une façon assez détachée et insouciante de voir ce monde se déployer sans prendre la mesure de cette position privilégiée… l’enfance.
Je rêve d’être actrice. Je fais du violon au conservatoire. Un bac cinéma. Un atelier de théâtre. De l’escrime.
Puis jeune adulte, arrivée à Paris je découvre la littérature théâtrale. Le travail alimentaire. Les conservatoires d’arrondissements et l’échec aux concours des grandes écoles. Une rencontre fait tout basculer, celle avec Anatoli Vassiliev. Je me retrouve dans Thérèse philosophe à l’Odéon aux côtés de Stanislas Nordey et Valérie Dréville. J’ai 20 ans. Je découvre le théâtre d’Art, l’aspect politique, sacré, du théâtre. L’intensité́ de cette expérience résonne très fort chez moi. Je me sens à ma place.

Il n’était plus possible de « juste faire du théâtre » ou de « juste être actrice ». Je devais entrer dans une école supérieure, seul endroit à mes yeux où faire de la recherche. J’entre alors au TNB pour intégrer la dernière promotion de Stanislas Nordey.
Je vis trois années de bonheur théâtral absolu et je ressens enfin une forme de satiété́… Mon premier geste de mise en scène a lieu dans le cadre des cartes blanches au TNB. Get out of my garden, un mélange de textes de Tarkos et de chansons de Dalida avec deux interprètes de ma promotion.
Je pose à ce moment là une grammaire. Un processus. Je profite de ce cadre luxueux pour pousser l’expérience à l’extrême. C’est un laboratoire d’où̀ naît une joie intense d’être à cette place. Tout est possible puisque c’est encore le cocon de l’école. Les questions de production, de diffusion, de publics ne se posent pas. Nous pouvons aller au cœur, brûlant, volcanique et observer ce qui peut en émerger.

Par la suite, je passe de la mise en scène au jeu à travers différents projets. En tant qu’actrice avec Stanislas Nordey, Simon Delétang, Eric Lacascade, Delphine Bailleul. En mise en scène j’ai la chance de faire un Sujet à Vif en 2013 Garden Party, sorte de continuité́ de la carte blanche.

Je mets au monde mon premier enfant et je mets en scène un collectif d’acteurs de Rouen (La Sixième heure) dans All By Myself (ou l’histoire d’une rencontre), spectacle qui jouera au TNS dans l’Autre Saison. C’est une période où je poursuis ce travail d’écriture de plateau et de créatures… Puis je m’attaque à Ivres de Ivan Viripaev et je crée la compagnie GET OUT grâce au soutien d’Olivier Talpaert. Là commence un marathon où la frontière est mince entre ténacité́ et acharnement, patience et découragement. Je mets quatre années à construire la production de ce spectacle qui inquiète, car le texte divise et quatorze interprètes sont sur scène.
Je mets au monde mon deuxième enfant. Le spectacle finit par voir à demi le jour en plein confinement grâce au Quai d’Angers qui porte la production déléguée et au Théâtre des Célestins. Nous sommes en octobre 2020. Il faudra attendre septembre 2021 pour que le spectacle soit partagé avec le public, cette fois à Angers.
En parallèle, je mets en scène des élèves dans plusieurs projets, je participe au feuilleton théâtral Feu Sacré au Théâtre de la Croix-Rousse, je mets en scène une petite forme opératique de l’ensemble baroque Le Banquet d’Agamemnon, Les Guerrières d’Orient et je commande, sur l’initiative du Théâtre de Villefranche où je suis associée, un texte à Agathe Charnet Le Dieu des causes perdues, forme sauvage et légère pour Noémie Rimbert (actrice) et M’hamed Menjra (musicien).

Ce que j’aime particulièrement dans ce métier, c’est de rassembler des personnes qui n’auraient à priori rien en commun en dehors de ce désir fou de défendre un texte (ou autre). Quelque chose nous échappe alors et grandit dans cet imaginaire pluriel.

C’est au cours de l’hiver 2019 que je découvre le texte de l’Art de la joie de Goliarda Sapienza grâce à Amélie Casasole. Je décide immédiatement d’en faire l’adaptation. C’est un travail long, minutieux, qui demande du temps… J’avance petit à petit tant sur l’adaptation que sur la construction du projet, la distribution, le décor, les partenaires en production. Ce roman, véritable chef d’œuvre, fédère indubitablement…
La compagnie GET OUT est par ailleurs associée à la Comédie de Valence et au Théâtre des Célestins.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre profession ?
Un regard curieux… Et tendre…
Les difficultés sont immenses pour faire naître et vivre des spectacles aujourd’hui. J’ai donc un véritable sentiment de reconnaissance envers celles et ceux qui se frottent à cette nécessité.
Je ne suis pas inquiète pour la profession, je suis inquiète pour notre société en général. Notre métier, précaire, incertain, n’est que le reflet de l’ensemble, parfois même une loupe… Mais nous ferons toujours du théâtre. Comment le faire est une autre question…
Je vois l’endroit du théâtre comme un lieu de culte non dogmatique, un lieu de communion…
Je place une espérance vive dans le fait que les spectatrices et spectateurs, sortent de cet endroit en ayant envie de continuer à vivre et en essayant de le faire peut-être encore mieux… Réveiller le désir.
"Le vent se lève il faut tenter de vivre" Paul Valéry

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Plus vieille et moins fatiguée!

Interview réalisée en 2023
Photographie : Lys Arango