Daphné BIIGA NWANAK
Comédienne

Daphné a reçu une bourse afin de l'aider à suivre ses études au Théâtre National de Strasbourg.

Quel est votre parcours artistique ?
Je débute le théâtre à l'Ecole de la Comédie de Reims, que je suis parallèlement à mes études de philosophie en classe préparatoire littéraire, puis je deviens actrice à Paris. J'y fais des rencontres décisives avec des metteurs en scène tels que Bob Wilson ou Maxime Kurvers. J'achève mon étude de la philosophie à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Je ne me satisfaits plus de ma position d'interprète et intègre l'Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Je fais alors le vœux d'y développer mes propres outils de jeu, écrire mes pièces. Je souhaite que ma position d'actrice m'offre un espace de création équivalent à celui des auteurs, metteurs en scène avec qui je dialogue. Mon parcours artistique est ainsi celui d'une jeune femme qui n'a de cesse de chercher la manière la plus juste de prendre la parole, en se demandant sans cesse "comment dire". Je vois mon parcours artistique comme étant une suite de rencontres avec l'Art, rencontres que je ne fais pas nécessairement en tant qu'artiste. J'ai par ailleurs remarqué que "les plus grands", metteurs en scène particulièrement, étaient surtout de grands spectateurs. Mon parcours artistique est donc aussi Jérôme Bel, Guy Debord, Aimé Césaire, Jeanne Moreau, Rainer Maria Rilke, Walter Benjamin, Jimi Hendrix, Charlotte Salomon, Antony and the Johnson, Maguy Marin, Jacques Demy, Bob Wilson, Michel Foucault, Sylvia Plath, Marie-Agnès Gillot, Edouard Levé, Paul Eluard, Spike Lee, Stéphane Breton, Cheikh Hamidou Kane, Jorge Luis Borges, Maurice Maeterlinck, Sophie Calle, James Baldwin, Bruno Meyssat, Marie Ndiaye, Pol Bury, Jean-Pierre Léaud, Samuel Beckett, Jean Rouch, Shirley Clarke, Georges Perec, Eliane Radigue, Claude Simon, Pina Bausch, Hildegarde de Bingen, Miles Davis, Michel Foucault, Tadeusz Kantor, Walter Benjamin, Alain Platel, Delphine Seyrig, Brigitte Fontaine, Christophe Tarkos, Klaus Michael Grüber, Valérie Dréville, John Cage, Chris Marker, Fernando Pessoa, Berthold Brecht, Hölderlin et mon père. 

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Si je dois absolument penser l'Art comme une profession, je dirais que je suis frappée par la place qu'il occupe au sein de l'espace publique et possiblement contre l'opinion. Pour les plus grands artistes, en terme d'espace d'expression et d'influence, je pense que nous côtoyons et dépassons les professionnels de la politique, de la religion. L'actualité du geste qu'est la parole au théâtre, en cela, me fascine. Je ne sais si mon regard sur ma profession critique, demande, admire ou enquête. Il est néanmoins sûr que je la vois depuis cet endroit précis, ce teatron là : Comment usons-nous de ce pouvoir que la communauté nous laisse ? Il s'agit bien d'un regard, oui, car cette question est presque devenue un critère dans mon appréciation des spectacles.

Comment vous voyez-vous dans cinq ans ? Dans dix ans ?
Encore une question de spectatrice ! "Comment voir" !Je serai bien incapable de dire comment je me vois dans deux jours, dix ans ou six siècles. La vie a jusqu'ici eu plus d'imagination que moi. Elle m'a surpris et déconcerté chaque fois que je pensais pouvoir la comprendre, au point d'en formuler sa logique. La vie n'a aucune logique. J'espère seulement accueillir l'avenir avec une de plus en plus grande et rester consciente de combien mon parcours personnel est tributaire des circonstances dans lequel il est pris. Mon travail n'est pas indépendant de la situation écologique qui s'annonce, de Youtube, des violences policières, de la réflexion sur la question du genre, de la politique d'accueil des demandeurs d'asile, de l'influence des nouveaux téléphones sur l'écriture, de l'intermittence du spectacle et de la mort de Claude Lanzmann. Je me vois simplement continuer à vieillir, rivée au rythme de la vieillesse du monde même.

 

Interview réalisée en 2018
Photographie : Céline Anaya Gautier et Julia Grandperret